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Note d'intention

Les Forteresse de Gurshad Shaheman

En juillet 2018, quand j’ai créé Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète au festival d’Avignon, ma mère a fait le déplacement de Lille pour voir le spectacle. Sa sœur cadette, installée à Francfort depuis près de vingt ans, est venue d’Allemagne. Pour l’occasion, leur troisième sœur, qui vit encore à Téhéran a pris un avion pour les rejoindre. Cela faisait onze ans qu’elles n’avaient pas été ainsi réunies toutes les trois. J’étais touché de les voir ensemble après toutes ces années, de constater combien leur lien restait solide malgré les revers du destin, les années de séparation et malgré des choix de vie parfois radicalement opposés. Je les regardais dans les rues d’Avignon, au milieu de cette grande fête du théâtre dans laquelle elles se fondaient parfaitement et je les trouvais vraiment romanesques, pour ne pas dire théâtrales.

 

Les trois femmes sont nées au début des années 1960, à Mianeh, une petite ville des montagnes de l’Azerbaïdjan iranien. Elles ont fait des études, traversé une révolution, vécu 8 ans de guerre et connu l’exil pour deux d’entre elles. Elles ont eu des maris, des enfants, des divorces. Elles ont connu de grandes joies et de grandes peines. Elles ont vécu plus d’un demi-siècle et leurs petites histoires de vie contiennent en elles la grande Histoire d’une partie du monde de la seconde moitié du vingtième siècle. Chacune l’a vécue d’un point géographique différent, baignée dans une langue et un environnement culturel différents.

 

Ma mère, l’ainée des trois sœurs, s’est établie en France en 1990. À peine deux ans plus tard, sa cadette, a entamé avec ses deux enfants un parcours de réfugiée à Leipzig en Allemagne. La dernière est toujours restée en Iran. À Avignon, sur les terrasses des cafés ou dans leur petit appartement de location, je les regardais faire le bilan de leurs vies, passer en revue leurs réussites et leurs échecs, faire le décompte de leurs joies et de leurs peines et je me disais que je tenais là le sujet de ma prochaine pièce. Quand je leur ai annoncé le projet, elles se sont montrées un peu sceptiques au départ mais très vite un enthousiasme sincère a pris le dessus. J’ai alors commencé à les interviewer. Chaque entretien a été enregistré et a servi de base à la composition de la pièce. Pour moi, Il ne s’agissait bien sûr pas d’un simple travail de transcription mais bien d’écriture. L’aspect documentaire ou prosaïque du sujet m’intéresse bien moins que la force poétique ou le souffle universel que ces récits peuvent atteindre.

 

À travers trois monologues entrelacés, chacune passe en revue son enfance, la relation aux parents, les études, l’engagement politique, le rapport aux hommes, au mariage, à la maternité, à dieu, à l’exil... Leurs voix se succèdent et se complètent, tissant un réseau de sensations et d’idées, dressant trois paysages intimes enchevêtrés où chacune fait pour elle-même le bilan de sa vie à l’approche du crépuscule.

Gurshad Shaheman

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