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Note d'intention

En mars et avril 2021, je suis invité à l’École du Nord pour un stage de six semaines avec les élèves-comédiens. Je ne sais pas encore sur quoi nous allons travailler, j’ai plusieurs envies mais je veux d’abord les rencontrer, savoir ce qui sera le plus pertinent pour eux (mais aussi pour moi.) On travaille alors sur des improvisations, je leur fais écrire des textes, je leur demande d’interviewer des inconnus, des proches. On aborde classiques et contemporains. On se plonge dans Les Vagues de Virginia Woolf…

 

Je les interroge aussi sur leur envie d’être comédiens : de quoi est fait leur désir de faire du théâtre ?

 

Dans un premier temps on cherche… ce que l’on cherche.

 

Et puis tout à coup, grâce à toute cette matière, nait l’idée d’une fiction. L’histoire de sept jeunes gens qui entrent dans une école de théâtre, mais pas aujourd’hui, non des gens qui rentreraient dans une école de théâtre en septembre 2001… Il y a tout juste vingt ans.

 

Bien sûr, c’est la date où j’ai moi-même intégré l’école du TNS à Strasbourg. Donc toute ressemblance n’est pas tout à fait fortuite…

En travaillant avec des masques, en les voyant se rembourser de l’argent via leurs téléphones, en les voyant tous sortir leurs ordinateurs pour travailler, je ne sais pas pourquoi, pour la première fois, je constatais de manière tellement naïve à quel point, en vingt ans, le monde avait changé.

 

En 1998, la France devenait championne du monde, on découvrait les vertus de ce qu’on appelait alors la France « Black, Blanc, Beur. » Et puis il y a eu le 11 septembre et avant ça, Loft Story… En avril 2002, pour la première fois un leader d’extrême droite arrive au second tour d’une élection présidentielle. Au début des années 2000, ce qui nous paraissait tout à fait extraordinaire est devenu aujourd’hui, somme toute, assez banal. Hélas…

Par exemple, la question qu’on se pose aujourd’hui (et qu’on était loin de se poser à l’époque) c’est de savoir qui sera face à l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle…

Glissement d’une époque à une autre, d’une ère (du nerf !) à une autre ère.

 

L’idée, c’est de suivre ces sept personnages de 2001 jusqu’à aujourd’hui. L’actualité ou l’Histoire n’est pas motrice de l’intrigue, c’est un décor mais un décor qui agit sur nous comme les couleurs sur les écailles d’un caméléon. Comment l’intime dialogue avec le collectif ? Mon histoire/Notre Histoire.

 

Car il s’agit bien d’une fiction. Raconter une époque, raconter une école. Raconter aussi le destin de sept personnages sur plus de vingt ans… Et peut-être s’amuser à imaginer la suite ?

 

Nous avons donc construit, nous avons imaginé, comme des scénaristes, comme des romanciers, comme des acteurs, la vie de ces sept personnages, aux origines sociales et géographiques différentes. On s’est amusé à construire ces vies en rassemblant des histoires qui nous avaient été contées, on a joué aussi avec les identités des acteurs eux-mêmes et puis comme, un palimpseste, les personnages des Vagues de Virginia Woolf se sont greffés à nos personnages à nous. Construction du personnage, comme dirait Stanislavski, mais pas à la manière d’un peintre réaliste, comme un peintre cubiste, ou carrément surréaliste… Un peintre qui a le souci du détail mais pas de la ressemblance.

 

Il est question de théâtre, bien sûr, et notamment de la manière dont les textes peuvent faire écho à nos situations intimes mais aussi politiques… Brecht… Tchekhov… Comment ça résonne par rapport à hier, aujourd’hui, demain ?

Il est question aussi d’amour, d’amitié, parce qu’à vingt ans, on ne fait pas seulement l’apprentissage de son métier, on apprend tant bien que mal la vie d’adulte, « faites de douleurs, de coups… ».

Cette pièce s’est écrite comme un roman d’apprentissage, un roman de formation, un conte initiatique où nos héros vont faire l’expérience de la vie et donc de la mort, de l’amour, de la haine, des illusions perdues, de l’altérité, de l’empathie… À travers leurs métiers, à travers leurs histoires réelles, inventées, jouées.

 

Pendant ce travail, nous nous sommes posé des questions qui nous ont fait peur, qui nous ont excités, angoissés, réjouis. Et ensemble, presque malgré nous, nous n’avons pas pu travailler avec détachement, nous nous sommes jetés, ils se sont jetés corps et âmes dans cette aventure, comme des acteurs, bien sûr, mais surtout, surtout comme des créateurs.

Guillaume Vincent