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Note d'intention

Pour écrire ce spectacle, nous avons décidé d’aller à la rencontre des gens, le plus de gens possible, comme une manière de rompre l’isolement forcé dans lequel nous étions plongés. Pendant six mois, nous avons donc rencontré près de trois cents personnes. Le protocole était toujours le même, la question posée toujours la même : quel écho a, dans votre vie, le mot de « réparation » ?

Dans presque chaque histoire qui nous était confiée, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait la présence d’un mort. Que ce soit un deuil récent ou le fantôme d’un lointain ancêtre, il y avait toujours un mort dont l’ombre planait ou l’absence étouffait. En rencontrant ces vivants, nous avons eu la sensation de rencontrer leurs morts.

Où pleurer les morts ? Où parler d’eux ? Où parler de la nôtre, de mort ? Il nous a semblé qu’un lieu manquait. Un lieu où les athées, les sceptiques, les agnostiques, ceux qui doutent, ceux qui ne savent pas, ceux qui voudraient croire mais n’y parviennent pas pourraient évoquer la mort sans tabou, sans peur ni préjugé. Un lieu où il serait possible de penser l’absence autrement et de dépasser le clivage qui oppose mysticisme et rationalité.

 

Au fil des rencontres, nous avons aussi constaté qu’implicitement des demandes nous étaient faites. Portant des chagrins qui ne leur appartiennent pas comme le faisaient jadis les pleureuses, les interprètes du spectacle tentent ainsi d’y répondre avec les moyens du théâtre et de la fiction.

 

 

Pendant plus d’un an, nous avons travaillé à l’adaptation théâtrale du Décalogue, série de dix moyens métrages réalisés à la fin des années 1980 par le cinéaste polonais Krzysztof Kieslowski. Nous avons monté une production, une distribution, réécrit la plupart des épisodes et imaginé un spectacle que nous voulions aux prises avec les enjeux contemporains critiques de la France de 2019. Le basculement que nous avons connu en 2020 a ébranlé ce projet et nous avons pris la décision et le risque de l’abandonner. Nous sommes reparti-e-s de rien, disposant toutefois de ce qu’il y a de plus précieux pour travailler : du temps et des lieux. Nous avons alors décidé de radicaliser la démarche entreprise avec le précédent spectacle de la compagnie, La Vie invisible, pour l’écriture duquel nous étions partis à la rencontre de personnes déficientes visuelles. Ces rencontres, très marquantes, nous avaient permis d’approfondir le point de recherche qui nous est cher, la dichotomie entre le réel et la fiction : comment non pas représenter le réel – « il n’y a aucun espoir d’atteindre le réel par la représentation » notait Lacan – mais produire du réel sur scène par un acte de fiction. Ainsi, puisque la crise sanitaire nous imposait un isolement durable, nous avons entrepris de rencontrer le plus de gens possible, comme une manière de retrouver l’autre coûte que coûte, de défier le contexte, de repeupler le quotidien sans du tout savoir où nous emmènerait cette expérience.

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