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Note d'intention

À propos

Dans l’exercice du pouvoir, être une femme est un crime, ne pas le devenir en est un autre.

 

C’est cette question qui se pose tout au long de la pièce et la Reine Christine devra faire un choix.

 

Par la force poétique de sa langue, par ses questionnements sur le genre et le pouvoir, Sara Stridsberg s’interroge sur domination et autorité, féminisme et féminité, passion et raison. Sa pièce frôle les brumes et les univers oniriques de Maeterlinck, elle fait parler les morts comme chez Ibsen et croise les contrées fantastiques du théâtre élisabéthain. Souvent chez cette autrice le temps existe comme horloge dramatique sans se poser la question de l’époque. Nous voyageons dans le temps sans se préoccuper du contexte historique.

 

Il fait froid dans cette œuvre. Les paysages de la Fille Roi sont abrupts et glacés, comme ceux de la Reine Christine. Paradoxalement, son audace et le bouillonnement de son énergie plus forts que sa raison vont totalement réinterroger la représentation du pouvoir Royal exercé par une femme.

 

D’autres personnages accompagnent cette variation sur l’identité et l’autorité du pouvoir au féminin ; le fantôme de son père mort à la guerre qui l’éduquera comme un homme et qui  l’accompagnera encore de ses conseils, un jeune homme promis au mariage dès son enfance qui rêve de l’épouser pour régner à ses côtés, une jeune fille dont elle est éperdument amoureuse et qu’elle obligera à se marier pour se détacher de cet amour coupable, et un philosophe qui devra répondre à toutes ses questions sur les frontières de son autorité au féminin.

 

C’est une pièce magnifique qui donne la parole aux femmes et regarde le pouvoir et ses dérives avec les yeux de celles qui, tout en étant prêtes à l’exercer, interrogent les limites de son autorité.

 

Quel est le sexe du pouvoir, par quelle représentation symbolique va-t-on l’exercer, et par quel sacrifice une femme s’émancipe de la domination religieuse et guerrière que ce pouvoir impose ? La fille roi est prisonnière de ce château comme elle l’est de sa fonction. Elle devient malade et cette maladie ronge son pays.

 

A l’inverse d’Elisabeth 1ère d’Angleterre qui s’inspire de l’image de la Vierge pour sacraliser sa personne et asseoir son pouvoir Royal, la Fille Roi consciente de tous les sacrifices que cette fonction impose, abandonne la couronne et décide de vivre selon son choix et son libre arbitre.

 

Une pièce qui interroge les attributs du pouvoir au féminin par une femme lucide et cultivée. Esthète éclairée accompagnée d’un philosophe, cette Fille Roi que Sara Stridsberg ne nomme pas Reine pour montrer que la Royauté n’existe qu’au masculin, abandonnera son trône pour échapper aux dérives de la norme religieuse et sexuelle que la royauté lui impose. C’est toute la force de l’œuvre et le paradoxe du personnage, elle est fille par moment et Roi par d’autre ; elle est femme et amie, éclairée et despote, amante et amant, promise et promesse ; elle est à la fois l’amour au masculin avec l’autorité du tyran et l’amour au féminin avec toutes les interrogations que cela pose sur le désir et la passion de l’autre. Elle aime et est aimée d’une jeune femme, elle est promise à un homme qui ne l’aime pas d’amour car la question ne se pose pas. En jouant sur les sexes et les identités, l’autrice déplace le problème du pouvoir.  La fille Roi ne peut exercer son pouvoir si elle est femme, la dominée ne peut s’émanciper d’une norme et d’une fonction qui prend tout son sens dans sa forme masculine : le Roi.

 

À la royauté qui se construit au masculin, Sara Stridsberg opposera l’audace de cette femme hors du commun qui n’hésitera pas à déposer sa couronne pour redevenir une femme libre.
 

 

Christophe Rauck