accueil > Guérilla poétique

Guérilla poétique

À propos

Le spectacle Viril, mis en scène par David Bobée, présente une série de textes féministes et antiracistes, accompagnés par la musique du groupe post-rock lyonnais Zëro et incarnés par les voix et les corps de la comédienne Béatrice Dalle, de l’auteure et cinéaste Virginie Despentes et de l’artiste rap Casey.

 

À la fois archive sonore et manifeste choral, le spectacle Viril donne à entendre certaines des voix les plus emblématiques des luttes raciales, sexuelles et de genre des cinq dernières décennies : l'humour corrosif du Scum Manifesto écrit par Valerie Solanas en 1967, les textes de Monique Wittig, fondatrice du féminisme lesbien radical dans les années 1980, la poésie politique des écrivaines afro-américaines Audre Lorde et June Jordan, la voix radicale et tendre de l’activiste trans-communiste Leslie Feinberg, mais aussi certaines des voix les plus singulières du féminisme contemporain comme celles de Zoé Leonard, Itziar Ziga ou Paul B. Preciado.

 

Peu à peu, la succession des voix et des textes dessine le paysage d'un féminisme révolutionnaire qui naît de l'alliance des traditions minoritaires et des pratiques dissidentes lesbiennes, prolétariennes, trans, racisées et indigènes. Les voix se mêlent à la musique hypnotique et sensuel de Zëro, les corps se croisent, les textes se chevauchent et se répondent pour former ce que l'écrivaine noire américaine Audre Lorde appelait une "guérilla poétique".

 

Béatrice Dalle donne voix à la femme King Kong de Virginie Despentes, Virginie Despentes scande les mots de la féministe basque Itziar Ziga, « personne ne pourra me faire taire ni me dire ce que je peux dire, ni comment je dois le dire », Béatrice Dalle reprend le texte mythique I want a President écrit par l'artiste américaine Zoe Leonard en 1992, après la guerre du Golfe et en pleine crise du sida et Casey slame la Balle de Paul B. Preciado. "Boom", dit Casey, et la balle semble aussi toucher le cœur des spectateurs. Trois langues scéniques sont ainsi réunies, mais aussi trois traditions du féminisme : la féminité indomptable de Béatrice Dalle, l'écriture punk féministe de Virginie Despentes et la cadence renversante du rap noir français de Casey. La dénonciation de la domination masculine et la condamnation de la violence hétéro-patriarcale et raciste nous amène vers la revendication de la puissance du désir non seulement comme acte sexuel, mais surtout comme rébellion du corps vivant contre la norme.

 

En accord avec l’importance de la tradition orale dans le féminisme et dans les mouvements de décolonisation, le spectacle Viril crée un espace sensoriel et sonore qui intensifie l'expérience de ce que la compositrice féministe Paulina Oliveros a appelé "l'écoute profonde". Il ne s'agit pas seulement de "libérer la parole", mais de créer les conditions qui permettent à ce cri d'être entendu et de provoquer un changement dans la capacité collective d'agir. La confluence dans le spectacle des voix de Béatrice Dalle, Virginie Despentes et Casey, avec l’onirisme électrique de la musique de Zëro, place le spectateur devant une expérience à la fois sensorielle et politique, où convergent récits à la première personne, théorie, activisme, parole poétique et musique. Il s'agit de faire appel à tous les sens, d'effleurer la peau politique et de stimuler l'intelligence sensible, non seulement pour susciter l'éveil de la conscience féministe, mais surtout pour transmettre la puissance d'un mouvement collectif, de sa capacité à résister, à lutter et à transformer la réalité.

 

Choc esthétique pour celles et ceux qui ne connaissent pas les traditions lesbiennes radicales et antiracistes du féminisme, exercice joyeux de détoxification face aux langages dominants et véritable injection d'énergie poétique et de joie politique pour tous celles et ceux qui cherchent à collectiviser leur résistance, Viril apparaît aujourd'hui comme un spectacle nécessaire pour tous les publics.

 

Paul B. Preciado