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Note d'intention de François Berreur

À propos

J’étais dans ma maison… est une des pièces les plus emblématiques de l’œuvre de Jean-Luc Lagarce, traduite en plus de trente langues et des plus jouées dans le monde.

 

Si cette pièce est tant traduite c’est qu’elle a une dimension universelle mais aussi qu’elle parle, toujours, de la situation particulière du pays où elle est présentée.

 

En créant ce spectacle en Haïti, il y a bien sûr une dimension locale qui ne saurait être niée, qu’est-ce que l’attente des femmes en Haïti, quel rapport ont-elles avec les hommes qui partent, de quelle nature est l’abandon et sa nécessité… mais ce serait réducteur de ne vouloir lire la pièce que par ce prisme.

 

Le vertige de la langue depuis un pays lointain

 

Cinq femmes dans la maison, vers la fin de l’été, de la fin de l’après-midi au matin encore du lendemain, lorsque la fraîcheur sera revenue et que la nuit et ses démons se seront éloignés. C’est la dernière nuit, libérées enfin du fantôme du fils, du frère, du père, du mari, elles vont pouvoir vivre leurs vies.

 

Rien du monde extérieur ne viendra modifier leurs récits, elles portent en elles l’histoire du monde et ses mythes, les hommes partis dans de longs voyages, ou en fuite, les ayant abandonnées. Rois, ou pauvres errants égarés, elles sont leurs mémoires à tous.

 

Elles disent… et par là même elles vivent, et intensément, car c’est sur une scène qu’elles sont, dans la maison, leur maison mais aussi la nôtre, la plus grande et la plus belle, notre maison à tous.

 

Entendre cette langue dans des bouches étrangères portée par des corps imprégnés d’une autre culture rend plus évident encore combien cette parole est universelle. C’est ici un souffle étrange qui balaie les a priori de notre histoire française, ses campagnes et ses mœurs, ses références littéraires et théâtrales si belles de notre histoire occidentale.

 

Cette langue française sans accent particulier mais au phrasé si rond et puissant, qui depuis les îles lointaines conquises, libérées et encore colonisées (détruites aussi) nous invite à un cérémonial qui traverse les temps et les mers rejoignant les mystérieuses contrées visitées par le fils, le frère si envié, si rêvé.

 

Leur voyage immobile ne serait-il pas au bout du compte le plus beau des voyages, qui racontent à nos corps si pâles la force et la constance de ces femmes face à l’abandon de ces hommes si héroïques qu’ils en oublient que c’est à elles qu’ils doivent leurs propres existences.

 

Mais peut-être aussi, chaque nuit la cérémonie de l’attente et du retour recommence, se rejoue.

Une fois encore… ici et ailleurs...

 

 

François Berreur, janvier 2018