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Note d'intention

À propos

Pourquoi monter la pièce ?

 


C’est le deuxième spectacle que j’avais créé avec ma compagnie il y a tout juste vingt ans. J’ai toujours eu l’impression d’avoir raté ce premier rendez-vous et toujours eu en projet de la remonter. Je devais la mettre en scène au TGP, quand j’ai appris que Patrice Chéreau la programmait à L’Odéon… Mais il a disparu avant.

 

Aujourd’hui, je souhaite aller à l’essentiel : je monte la pièce pour la fin du 2e acte et le début du 3e. J’ai fait un montage des scènes et coupé quelques passages pour mettre en valeur, dans cette pièce, un peu monstrueuse, trois moments d’exception : deux joutes entre les deux couples d’amoureux que sont Orlando et Rosalinde et Silvius et Phébé, et le monologue de Jacques le Mélancolique qui préfigure le long monologue d’Hamlet.

 


Retravailler l’oeuvre.


J’ai changé l’ordre des scènes pour accéder à une narration plus resserrée. Une des scènes de chasse, celle qui commence par : Quel est celui qui a tué le cerf ? fera office de prologue.
Car au fond, il y a quelque chose d’assez violent dans ce texte. On peut penser que Comme il vous plaira est une pièce assez soft, avec cette histoire de cousines qui s’adorent… Mais ces femmes s’échappent, partent en exil, s’émancipent ; la violence est là, sourde mais toujours présente. Il s’agit de faire entendre que la violence fait aussi partie de la vie, de la filiation, de l’amour, de l’amour d’un père et d’une fille, de deux cousines…
Comment donc faire passer la violence au théâtre ? C’est là que m’est venue l’envie d’utiliser un mot qu’on n’utilise peu au théâtre : l’illustration. C’est un mot banni. Car si on est illustratif, on n’est plus théâtral, on met de la crème sur du beurre. L’idée était de travailler avec ce mot qu’on n’emploie pas, de le placer à un autre endroit… d’où le travail sur le son…

 


Le son comme un acteur

 


J’ai choisi le son pour prendre en charge la mise en place de ce patchwork baroque, pour faire entendre, via une voix off ou des passages au micro, les scènes moins importantes, comme un peu une post-synchro, quelque chose d’un peu détaché…


Mais aussi et surtout pour travailler sur la question du temps très présente dans la pièce et qui m’intéresse toujours dans le cadre de la représentation. Quand est-ce qu’on ramène le temps de la fiction au temps de la représentation ? L’aller-retour entre la fiction et la représentation m’intéresse, ramener la fiction au présent des spectateurs, à la temporalité du moment permet de faire écho à notre monde personnel.

 


J’aimerais qu’on arrive à faire en sorte que l’espace scénique soit essentiellement créé par le son. On crée du champ, du contre-champ, par le passage d’une voix intime quand elle est « microtée » et livre l’intériorité du personnage, à une voix naturelle plus narrative. On traverse ainsi des espaces temps complètement différents, le micro étant utilisé ici comme un pauvre accessoire de théâtre, un masque qu’on porte ou qu’on enlève - comme je l’avais expérimenté sur Amphitryon avec les comédiens russes - et non pas le signe d’un théâtre contemporain, un peu clean…

 


S’amuser avec les micros et les superpositions, c’est aussi s’amuser à détourner une technique de pointe et changer le rapport à l’esthétique qu’elle suggère. S’amuser oui, mais de manière sérieuse pour que le spectateur puisse entrer dans cette histoire. Car il s’agit de rentrer dans la pièce mais aussi de comprendre Shakespeare, qui s’amuse de ce qu’est le théâtre à l’époque.

 

 

La scénographie, la musique, les costumes.

 


On est parti sur quelque chose de sobre et la présence prédominante de la forêt signifiée par deux grandes toiles et de nombreux animaux empaillés sur scène. La musique comme les costumes s’inspirent fortement de l’Angleterre. La musique parcourra le répertoire anglais, du XVIIe siècle, avec un peu de Purcell, aux Beatles et Queen.
Tout ou presque sera chanté a capella.

 


La poésie à l’oeuvre.

 


L’histoire est toute simple, on est dans un rapport à la poésie. Shakespeare s’amuse avec un mouvement littéraire en vogue à l’époque, directement inspiré par Pétrarque*, ce poète italien, qui a vécu à Avignon où sa vie va basculer en 1327, le jour où il voit pour la première fois Laure de Noves, une jeune femme mariée. Pétrarque va, dès lors, lui vouer une passion platonique qui inspirera toute sa poésie, sa vie durant. Il va l’aimer vingt ans, jusqu’au jour où il va apprendre qu’elle a succombé à la peste, et ne cessera de la regretter durant les vingt-six ans où il va lui survivre. Son oeuvre majeure, Le Canzoniere, est une variation en 366 poèmes entièrement consacrés à l’amour qu’il porte à Laure. On y découvre la symbolique de « la blessure de l’amour qui passe par l’oeil ». Shakespeare place Orlando dans ce rapport-là quand il voit Rosalinde : il ressent la blessure de l’amour par l’oeil.

 


Mais Shakespeare fait en sorte que Rosalinde, elle, s’amuse des représentations qu’on a de l’amour à l’époque. Elle va, en quelque sorte, purger cet amour mental et faire redescendre Orlando sur terre pour le ramener à un amour réel. Le personnage de Rosalinde incarne la rencontre de la poésie avec l’expérience concrète de l’épreuve de l’amour.
La pièce est très belle, elle ne raconte que ça…

 


Christophe Rauck

 

 


Propos recueillis par Isabelle Demeyère
(juin-novembre 2017)
*Notes : Pétrarque (1304-1374) est un poète italien originaire
de Toscane, à l’origine de la Renaissance et de l’humanisme.
Il a aussi jeté les bases de la langue italienne moderne.
Comme il vous plaira (écrite probablement en 1599)
a été publiée en 1623