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André Markowicz - #1

Billet d'humeur

André Markowicz a fondé en 2019 avec Françoise Morvan les Editions Mesures.

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D’un sentiment de honte

 

Depuis, je ne sais pas, deux-trois jours, je sens monter un sentiment qui n’est plus l’accablement, plus la surprise, non, mais qui est comme un sentiment de honte. D’une honte aux visages multiples, on pourrait croire, mais c’est la même.

 

D’une honte, par exemple, devant des cas de plus en plus fréquents d’arbitraire de la police lié au confinement. Cette histoire que j’ai vue passer ici, sur mon mur, d’une femme qui sort pour acheter des serviettes pour ses règles, et qui, visiblement, n’achète que ça, — qui se fait contrôler par un policier, et verbaliser, parce que, selon lui, ce n’est pas un produit de première nécessité. Ou bien, cette histoire rapportée par Libé, dans une tribune, de cette psychiatre de Rennes (à 500 mètres de l’endroit où je suis), qui voit son jeune patient — un jeune au RSA — arriver dans tous ses états parce qu’il a été verbalisé pour avoir coché deux cases, et quand le médecin descend et essaie de parler à la policière, elle se fait insulter, et c’est elle qui est accusée d’insulte à la police. Ou le gars qui sort sa poubelle, qui traverse la rue, qui n’a pas d’attestation parce qu’il habite à dix mètres en face, et qui se fait verbaliser. Des histoires comme ça, — des petites histoires, on dirait —, on en voit des dizaines, et d’où vient qu’elles me frappent encore davantage qu’avant (je ne crois pas avoir jamais été insensible aux violences policières) ? Elles me disent que l’autre monde dans lequel nous sommes passés risque fort d’être un monde encore plus policier que celui qui vient de nous être ôté du jour au lendemain.

 

Et puis je regarde, de temps en temps, sur internet, des reportages, et je vois que, par exemple, il y a de moins en moins de transports de marchandises. Et je vois qu’une des raisons, ce sont les conditions de leur travail : il n’y a plus de restaurants, de haltes, et les chauffeurs n’ont plus nulle part où se laver, où aller aux toilettes, où manger. Et j’ai honte.

 

Je regarde les nouvelles de Russie, et, la politique du pouvoir russe vis à vis du coronavirus, elle est infiniment pire que celle de notre gouvernement. La semaine dernière encore, le maire de Moscou demandait à ses administrés de partir à la campagne — c’est-à-dire, objectivement, qu’il faisait répandre le virus. Et puis je regarde l’état des hôpitaux à Moscou (à Moscou, donc, dans la capitale — les provinces, c’est toujours dix fois pire), et je comprends que l’état est le même qu’en France : pas de masques, pas de combinaisons, pas de respirateurs, pas de place dans les urgences. Dans les deux cas, pour des raisons différentes, la même incurie, la même indifférence non pas seulement des politiques, mais des élites économiques dont le pouvoir n’est finalement que le valet. Et, je ne sais pas, ça me fait honte.

 

Et puis j’ai honte de voir cette communication de notre gouvernement. Ces inepties, changeant de jour en jour, pour ne pas dire que rien ou presque n’était prêt, que nous avons été pris par surprise et que la situation est, oui, une situation de guerre, ou pas de guerre, mais de catastrophe industrielle globale : un peu, oui, comme Tchernobyl. Qu’on envoie les gens — qui y vont — littéralement, vers un risque mortel, et que les politiques au pouvoir disent que, non, bien sûr, il y a quelques difficultés, temporaires, mais que, dans l’ensemble, ça va. Et je vois leur visage quand ils disent ça, je vois leurs yeux, et je vois bien qu’ils le savent, qu’ils mentent, et, là encore, j’ai honte. J’ai honte de les voir mentir, et j’ai honte de les voir endosser un mensonge et une faute — un crime, en fait — qui n’est pas directement le leur : mais Macron était ministre de l’économie du gouvernement qui, au nom d’une « rigueur budgétaire », s’est, sauf erreur, débarrassé des stocks de masques jugés inutiles. De les voir endosser ce mensonge au nom, sans doute, de l’unité nationale. Et si je comprends bien qu’il n’est pas temps de jeter en pâture des gens, quels qu’ils soient, là, maintenant, alors que la pandémie est dans sa pleine force, dire que tout va bien, que tout s’est toujours bien passé, sauf quelques retards ça et là, montre déjà que rien n’ira, puisque nous serons marqués par le sceau du mensonge. Et, je ne sais pas, ça aussi, ça me fait honte.

 

Et j’ai encore plus honte quand j’entends que, dorénavant, l’Etat va consacrer beaucoup plus d’argent aux hôpitaux, et qu’il doit y avoir des secteurs de la vie qui n’obéissent pas aux règles du marché. Comme si j’entendais un enfant pris en faute dire qu’il ne recommencera plus.

 

Et, hier soir, je regarde ces deux ambulanciers, avec leurs masques périmés, qui font huit ou dix visites par jour, et qui transportent, sans protection ou presque, les malades du Covid dans des urgences épuisées — là encore, je regarde leurs yeux —. Et je comprends que le nom de ma honte, ce n’est plus du tout la honte, c’est une grande colère.

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