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"Ce qui m’a intéressé, c’est d’entendre le bruit du monde le plus manifeste"

Entretien

Pouvez-vous revenir en quelques mots à l’essence de la pièce Koulounisation : le langage ?

Lorsque j’ai débuté le travail, je me suis posé cette question : de quelle manière peut-on traiter la question de la colonisation et des relations franco-algériennes sans être victimaire ? Sans doute en faisant un pas de côté. En tant que chercheur-artiste, je me suis intéressé au langage et plus précisément au mot « colonisation ». Comment dit-on « colonisation » en arabe ? Autrement dit, Koulounisation n’est pas une pièce sur la colonisation en tant que telle. C’est une pièce sur le mot « colonisation » qui déroule des vécus, des histoires et des violences, aussi.

 

Koulounisation questionne notre rapport à la vérité, à la mémoire, à la transmission à l’histoire à travers le langage. Qu’est-ce que nous fait précisément le langage ?

Je suis né de parents issus de l’immigration algérienne. J’ai souvent été le témoin de discussions sur ce qu’on appelle la « Guerre d’Algérie ». Et c’est seulement très récemment que j’ai entendu le mot : « révolution ». Cela m’a amené à réarticuler ma pensée. Et si « La guerre d’Algérie » n’était pas seulement un fait historique mais aussi des mots. Quels seraient-ils ? A quoi pense la langue ? Quelle signification et direction donne le mot ? Quel est le but ? Qui en décide ? Qu’est-ce que cela dit de la personne qui utilise tel mot et pas un autre ? Toutes ces questions m’ont taraudé de manière vertigineuse. Ce qui m’a intéressé, c’est d’entendre le bruit du monde le plus manifeste. Et surtout de ne pas me contenter d’enquêter sur des terrains de vie familiers, et développer une pensée consensuelle.

 

Ce qui frappe dans votre approche, c’est qu’elle est à la fois théâtrale et plastique...

J’ai d’abord beaucoup enquêté. Lorsque je me suis attelé à l’écriture de plateau, j’ai pris conscience qu’il ne suffirait pas que je m’attache exclusivement au matériau documentaire authentique prélevé, ou que je « dénonce » la langue abimée, les imaginaires perdus du fait de la colonisation. Je devais être courageux, créatif. Je devais proposer un véritablement traitement esthétique de la question. Sans doute parce que j’ai trop vu de théâtre documentaire, décharné, triste et inaccessible, comme enfoncé dans un intellectualisme.

Très vite et en collaboration avec les scénographes Justine Bougerol et Silvio Palomo avec lesquels j’ai beaucoup appris, j’ai pensé que ce serait par les arts plastiques, par leur déploiement sur le plateau que nous entrerions dans une relation plus sensible et ludique avec les spectateurs et les spectatrices.

Certains éléments sont apparus très tôt, comme le fil pour délimiter l’espace ou les plaques de polystyrène comme matériau de construction. Matérialiser la pensée était pour moi la seule position artistique tenable. Je ne voulais pas me retrouver seul au monde avec mes recherches. Je ne voulais pas faire ma bulle.

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