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Extraits

Moi, le couscous et Albert Camus
Avant-goût

Moi, le couscous et Albert Camus - SCENE 2Prologue



STEFANO

 

Je fais du théâtre parce que j’aime être avec les gens. Et parce que je me pose beaucoup de questions. Et ces questions ? j’aime les partager.
Je fais du théâtre parce que j’aime raconter des histoires. Le cinéma les raconte avec les images, la littérature avec les mots, le théâtre ... avec quelque chose d’autre.
Je fais du théâtre parce que j’aime jouer et probablement parce que j’aime être le centre de l'attention. Mais à un moment donné, c’est à dire juste au moment de commencer le spectacle, je voudrais être ailleurs. Je voudrais me sauver, être dans un café, en train de lire le journal ou être à la maison, en train de regarder un match de foot à la télévision.
Je fais du théâtre et je ne voudrais pas en faire, j’aime raconter des histoires, mais aussi seulement les garder pour moi. J’aime faire des projets, mais au fond, je ne sais pas si ça vaut la peine de les réaliser. Je me demande toujours : à quoi bon ?
Alors je pense que vous faire asseoir autour d’une table, vous donner à boire et à manger, vous servir avec gentillesse, être sympa, ça peut aider au moins à justifier le prix du billet, pour que vous ne soyez pas complètement déçus.

[…]

Durant toutes ces années, avec nos spectacles, nous avons accueilli autour d'une table tellement de spectateurs que je ne sais plus quoi cuisiner pour faire quelque chose de nouveau. Nous avons fait des tagliatelles, de la polenta, du riz, des tigelles, du pain, des tortellinis. Parce que je pense que la cuisine n’est pas la gastronomie, la cuisine est alimentation, nourriture, mais la nourriture c'est aussi de l’art, de la culture. Ces sont les plats traditionnels, donc la relation avec la mémoire, la remise en question de la tradition pour la création de quelque chose de nouveau, la cuisine est un théâtre des sens  qui parle à travers les goûts, les odeurs, les gestes et les sons. Je crois que ce n’est pas par hasard que le Dieu du théâtre est aussi le Dieu du vin.

Est-ce que vous connaissez le Dieu du théâtre ? Dionysos !

Bon, vu que le Dieu du théâtre est aussi le Dieu du vin, je vous propose de commencer le spectacle avec un toast. A la santé du théâtre !

[…]

Je vous ai dit que j’aime raconter des histoires. Aujourd’hui, j’ai pensé vous raconter une histoire d’il y a plusieurs années, quand j’avais 17 ans.
On dit toujours que le temps passe, mais pour moi ce n’est pas vrai. Pour moi le temps reste, c’est nous qui passons.

De toute façon, ça s’est passé dans un autre temps et dans un autre lieu.
La première fois que j’ai fait l’amour, j’avais 17 ans et j’étais en France. Peut-être que c’était écrit dans mon destin, nul n’est prophète dans son pays natal. Un peu comme aujourd’hui avec nos spectacles, nous jouons plus à l’étranger qu’en Italie, en particulier en France.
Avec elle, on s’était rencontrés à Bologne, chez mon prof de français. Un échange scolaire, ancêtre de l’Erasmus. C’était au mois de mars. En Juin ‘78 je suis allé chez elle.
Elle est venue me chercher à Paris, à la Gare de Lyon. Nous avons bu un kir dans un café de la gare, ensuite elle m’a emmené au Quartier Latin pour manger un couscous. Moi je ne savais pas ce que c’était un vrai couscous, je n’en avais jamais entendu parler. C’était la première fois que je mettais le nez hors de l’Italie. Le vrai couscous me sembla très bon, j’en tombai amoureux.
J’étais à Paris, en France mais elle n’était pas vraiment française, elle avait un nom espagnol. Nous avons pris un train et nous sommes allés chez elle, où elle vivait avec ses parents, à 80 km de Paris, dans la campagne de Normandie.
C’était une maison énorme, que son père avait construit pour toute sa famille, tous ses fils et toutes ses filles, mais les fils et les filles avaient grandi, petit à petit étaient partis et à la maison il ne restait qu’elle, la plus petite.
Ça s’est passé comme ça, dans sa chambre, à l’aube d’une journée de la fin du mois de Juin.
Puis elle m’a donné un livre écrit en français et m’a dit « lis-le ». Ce livre c'était L’étranger d’Albert Camus.
C’était écrit à la première personne, comme un journal intime, et j’ai immédiatement eu un sentiment étrange, comme si j’avais écrit ce journal moi-même il y a longtemps et que je l’avais oublié. C’était moi le protagoniste du livre, et à travers les lignes, je me regardais comme on se regarde dans un miroir.
Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas.
Ce sont les premiers mots que j’ai lu.
Le premier chapitre du livre, consacré à l’enterrement de la mère, commence comme ça, comme une déchirure.