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Extrait

Illusions perdues, adaptation et mise en scène Pauline Bayle

– Il y a chez toi, lui dit Michel Chrestien, unesprit diabolique avec lequel tu justifieras à tes propres yeux les choses les plus contraires à nos principes : au lieu d’être un sophiste d’idées, tu seras un sophiste d’action.

– Ah ! j’en ai peur, dit d’Arthez. Lucien, tu feras en toi-même des discussions admirables où tu seras grand, et qui aboutiront à des faits blâmables... Tu ne seras jamais d’accord avec toimême.

– Sur quoi donc appuyez-vous votre réquisitoire ? demanda Lucien.

– Ta vanité, mon cher poète, est si grande, que tu en mets jusque dans ton amitié ? s’écria

Fulgence. Toute vanité de ce genre accuse un effroyable égoïsme, et l’égoïsme est le poison de l’amitié.

– Oh ! mon Dieu, s’écria Lucien, vous ne savez donc pas combien je vous aime.

– Si tu nous aimais comme nous nous aimons, aurais-tu mis tant d’empressement et tant d’emphase à nous rendre ce que nous avions tant de plaisir à te donner ?

– On ne se prête rien ici, on se donne, lui dit brutalement Joseph Bridau.

– Ne nous crois pas rudes, mon cher enfant, lui dit Michel Chrestien, nous sommes prévoyants.

Nous avons peur de te voir un jour préférant les joies d’une petite vengeance aux joies de notre pure amitié. Lis le Tasse de Gœthe, la plus grande œuvre de ce beau génie, et tu y verras que le poète aime les brillantes étoffes, les festins, les triomphes, l’éclat : eh bien ! sois le Tasse sans sa folie. Le monde et ses plaisirs t’appelleront ?... reste ici. Transporte dans la région des idées tout ce que tu demandes à tes vanités. Folie pour folie, mets la vertu dans tes actions et le vice dans tes idées ; au lieu, comme te le disait d’Arthez, de bien penser et de te mal conduire.

Lucien baissa la tête : ses amis avaient raison.

– J’avoue que je ne suis pas aussi fort que vous l’êtes, dit-il en leur jetant un adorable regard. Je n’ai pas des reins et des épaules à soutenir Paris, à lutter avec courage. La nature nous a donné des tempéraments et des facultés différentes, et vous connaissez mieux que personne l’envers des vices et des vertus. Je suis déjà fatigué, je vous le confie.

– Nous te soutiendrons, dit d’Arthez, voilà précisément à quoi servent les amitiés fidèles.

– Le secours que je viens de recevoir est précaire, et nous sommes tous aussi pauvres les uns que les autres ; le besoin me poursuivra bientôt. Chrestien, aux gages du premier venu, ne peut rien en librairie. Bianchon est en dehors de ce cercle d’affaires. D’Arthez ne connaît que les libraires de science ou de spécialités, qui n’ont aucune prise sur les éditeurs de nouveautés.

Horace, Fulgence Ridal et Bridau travaillent dans un ordre d’idées qui les met à cent lieues des libraires. Je dois prendre un parti.

– Tiens-toi donc au nôtre, souffrir ! dit Bianchon, souffrir courageusement et se fier au travail !

 

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