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Extrait

La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès

Je restais assis avec cette envie de cogner, mec, jusqu’à ce que tout finisse, jusqu’à ce que tout s’arrête, et alors, tout d’un coup, tout s’arrête pour de bon : les métros ne passent plus, l’Arabe se tait, la bonne femme là en haut arrête de respirer, et la fille en chemise de nuit, on ne l’entend plus renifler, tout s’arrête d’un coup, sauf la musique au fond, et la vieille givrée qui a ouvert la bouche et qui se met à chanter d’une voix pas possible, le raqué joue cela, là-bas, sans qu’on le voie, et elle chante cela, ils se répondent et vont ensemble comme si c’était préparé (une musique pas possible, quelque chose d’opéra ou des conneries comme cela), mais si fort, si ensemble, que tout s’est arrêté vraiment, et la voix de la vieille tout en jaune remplit tout, moi, je me dis : o.k., je me lève, je cavale à travers les couloirs, je saute les escaliers, je sors du souterrain, et dehors je cours, je rêve encore de bière, je cours, de bière, de bière, je me dis : quel bordel, les airs d’opéra, les femmes, la terre froide, la fille en chemise de nuit, les putes et les cimetières, et je cours je ne me sens plus, je cherche quelque chose qui soit comme de Therbe au milieu de ce fouillis, les colombes s’envolent au-dessus de la forêt et les soldats les tirent, les raqués font la manche, les loubards sapés font la chasse aux ratons, je cours, je cours, je cours, je rêve du chant secret des Arabes entre eux, camarades, je te trouve et je te tiens le bras, j’ai tant envie d’une chambre et je suis tout mouillé, marna marna marna, ne dis rien, ne bouge pas, je te regarde, je t’aime, camarade, camarade, moi, j’ai cherché quelqu’un qui soit comme un ange au milieu de ce bordel, et tu es là, je t’aime, et le reste, de la bière, de la bière, et je ne sais toujours pas comment je pourrais le dire, quel fouillis, quel bordel, camarade, et puis toujours la pluie, la pluie, la pluie, la pluie.

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