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Extrait de la pièce

Avant-goût

SÉPHORA

Combien avez-vous d’amis ?

Aimez-vous quelqu’un ?

Qui auriez-vous aimé ne jamais rencontrer ?

 

JEAN-FRANÇOIS

Ma grand-mère.

Combien êtes-vous chez vous ?

Entendez-vous vos voisins à travers les murs ?

 

JULIEN

Moi ? Oui, grave, le voisin d’en bas, là, au huitième, même par la fenêtre j’entends son bruit. Le mur d’en face. Je crois que le mec il bat sa femme. La fille crie. Du coup, là, je me pose une question. Pourquoi je n’appelle pas la police ? Mais la police je ne les aime pas, c’est pour ça que je ne les appelle pas. Il faudrait qu’il y ait un genre de dérivé de la police qui ne s’occupe que des bruits à travers les murs.

 

SÉPHORA

J’entends mon voisin tirer le canon pour faire peur aux oiseaux dans son champ,

je l’entends crier sur ses chiens, ouvrir l’eau d’arrosage.

 

JULIEN

Buvez-vous de l’eau minérale ou de l’eau du robinet ?

 

JEAN-FRANÇOIS

Jamais celle qui coule du robinet de la salle-de-bains. Pouah.

(…)

 

JEAN-FRANÇOIS

Seriez-vous prêt à accueillir un migrant chez vous ? Si, oui combien de temps ?

 

SÉPHORA

Où le feriez-vous dormir ?

 

JULIEN

Craindriez-vous de trop vous y attacher ?

 

UNE FILLE

Alors, personnellement, je trouve que je n’aurais aucun mal à accueillir un migrant chez moi, je pourrais le faire dormir dans  son canapé, ou bien très bien céder mon lit et aller dormir dans une autre chambre.

Je pense que,  en Occident, on est très bien logés. Bon certes, il y a des SDF chez nous, et je pense que c’est peut-être la priorité du gouvernement, mais, sachant que il y a des bombardements, des guerres dans d’autres pays, il faut que nous français essayons d’aider ces personnes au maximum parce qu’elles fuient leurs pays à cause de ces conflits, et non pas pour profiter de notre système.

Donc voilà, je pense qu’il faut vraiment faire cet effort-là, d’essayer d’accueillir des migrants chez nous.

Y’a peut-être une certaine appréhension d’héberger un inconnu mais je pense qu’il faut passer au-delà de ça, et avoir vraiment ce côté humain, et puis voilà quoi, on peut très bien créer un lien d’amitié fort, avec ce migrant-là, qui parle anglais, qui parle swahili, qui parle arabe, je pense qu’on peut dépasser la barrière de la langue et  réellement créer un lien fort entre cette personne et nous.

 

SÉPHORA

Ouais c’est ça fais ta mijaurée. C’est que du mytho ce que tu racontes.

 

JULIEN

Si vous deviez vous transformez en animal, lequel choisiriez-vous ?

Croyez-vous en l’existence d’une vie après la mort ?

 

SÉPHORA

Vous sentez-vous surveillé ? Si oui, trouvez-vous cela rassurant ?
Si non, trouvez-vous cela rassurant ?

 

JULIEN

En une fraction de seconde, à la caméra : deux mecs passent rue Pérolière. Je les suis sur les autres caméras : ils passent place Jean Marcel. LES GARS JE LES AI. Il y en a un qui perd sa tong. On récupère la tong. Il y a de l’ADN sur la tong. On analyse la tong.

 

SÉPHORA

L’avocat était parti pour casser le dossier.

 

JULIEN

Sauf que c’est bien son client sur la tong.

 

SÉPHORA

Le mode opératoire est toujours le même.

 

JULIEN

Les individus avancent et pètent tout avec un gros caillou. Sur les trois autres caméras, on les avait, mais on ne pouvait pas regrouper les faits, sauf qu’avec la caméra juste au-dessus, on les voit, à un moment, passer, puis on les retrouve sur la dernière caméra, Place aux herbes, en train de se baigner dans la fontaine. On les a, on sait que c’est eux.

 

SÉPHORA

L’avocat prétend qu’aucun lien  est établi entre le caillou et les deux individus.

 

JULIEN

Sauf qu’à un moment donné, quand il passe sur la route, le caillou, le petit gars l’a sous le bras.

 

JEAN-FRANÇOIS

Ok, j’habite Bordeaux. J’ai voulu faire installer dans ma rue des caméras au-dessus des grilles qui borde ma résidence. Des caméras de la ville. Les flics ont dit : « Nous, ça nous intéresse, parce que si on doit retrouver quelqu’un, on pourra grâce aux caméras le retrouver. »
Quand je me suis rendu à la réunion de quartier, accompagné d’un représentant du préfet de Police, et que j’ai dit on va mettre des caméras,les voisins ont refusé d’un bloc.

 

 

SÉPHORA

Vous êtes-vous déjà senti valorisé grâce à l’adresse postale inscrite sur vos documents administratifs ?

 

 

SÉPHORA

Le passeur, il a dit : « Tu es venu jusque-là pour voyager, et tu ne voyages pas ? »
 J’ai dit, moi celui-là je ne vais pas le prendre, j’attends le prochain. J’ai allumé mon petit bout de cigarette, j’ai fumé, puis je suis retourné dans la forêt, avec mon sac à dos.

Les autres ils ont bougé. Une heure comme ça, et ils se sont tous noyés. J’avais dit, cousin, faut pas y aller. Fallait pas y aller. Je suis monté dans le prochain. C’est toujours moi qui tiens le moteur pour piloter, même si je n’ai plus la force, c’est moi qui barre, une jambe dans la mer, regarde ma jambe, elle est toute brûlée, tu sais, je suis fatigué, je suis très fatigué, je suis trop fatigué, nous sommes tous très fatigués, nous sommes fatigués d’être fatigués, j’ai soif, on a très soif, le bébé aussi a soif, je n’ai plus la force, personne n’a la force, je ferme les yeux, je prie le Dieu, je vois cette femme venir me sauver, avant on a pris mon ADN.

 

JEAN-FRANÇOIS

Je leur ai dit : « Mais, pourquoi refusez-vous ? » Ils ont dit : « On est en République.

On est en liberté. On ne veut pas être espionnés. » Je leur ai dit : « Mais attendez, on ne veut pas vous espionner, puis vous n’avez rien à vous reprocher, n’est-ce pas ?

Je leur ai dit, écoutez ! Qu’est-ce que ça peut me foutre à moi, par exemple, que la caméra me prenne quand je sors de ma voiture, et que je vais jusqu’à chez moi.

Au fond, si vous ne voulez pas de caméra, c’est que vous avez quelque chose à vous reprocher. »

Seriez-vous prêt à brûler une voiture pour marquer votre mécontentement ?

 

JULIEN

Alors, je pense que oui, en fait non, pas pour un simple mécontentement.

Je pense que le mot dans ce cas est mal choisi, enfin,

mais pour une colère, oui.

C’est pas une question d’être d’accord ou pas avec ça, mais c’est plus le fait que je pense que on minimise nos capacités.
Qu’est-ce qui peut se passer en nous quand on est en colère. Et je trouve qu’il y a un déni de sa propre colère, parfois on juge des actes qui ont lieu comme si c’était des choses vraiment criminelles, ou pas possibles, alors que je pense qu’on a tous des pulsions.

On est capable de faire des choses.

Même si brûler une voiture, c’est pas forcément un acte, enfin une pulsion, c’est peut être quelque chose de tout à fait réfléchi, et je pense que je serais capable aussi de brûler une voiture, voilà,

je ne sais pas pour quelle raison mais quelqu’un. Je ne sais pas.

Une vengeance.

Je suis capable de faire des choses comme ça.

Oui.

Et aussi de me faire déborder par ma propre colère.

 

JULIEN

Est-ce moi ou les autres ?

Heu. Ben. En fait ça peut pas être moi. Tttttt. Ça peut pas être moi. Je suis trop simple d’esprit pour que ça soit moi, tu vois. Pour que ça soit moi, faut qu’il y ait de l’alcool, ou de la drogue, ou les deux, là je dis pas, mais ça ne peut pas être moi naturellement.

S’il y a de l’alcool, ou de la drogue, même là, c’est pas moi. C’est la faute de l’alcool,

c’est la faute de la drogue. Ça ne peut pas être moi. Je suis désolé, ça ne peut pas être moi. C’est pas moi. C’est les autres.

 

SÉPHORA

C’est toi, grâce aux autres.