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Extrait de la pièce

Avant-goût

Dissection d’une chute de neige

 

 

SCENE 7.

Le Roi mort est assis sur la chaise pliante, bien enfoncé dedans comme s’il se trouvait dans un cercueil ou sur une civière.

La Fille Roi observe son visage.

Bien qu’il dorme et qu’il soit mort, il est très présent dans la pièce, comme si de lui émanait un soleil intérieur.

La Fille Roi arrange son arme et son manteau (coupe soldat) audessus de sa robe, teste la puissance de sa cravache dans les airs.

 

LA FILLE ROI.

Père.

Silence.

 

LA FILLE ROI.

Vous êtes réveillé, Père?

Silence.

 

LA FILLE ROI.

J’aurais besoin de vous parler de quelque chose.

 

Le Roi mort se réveille et se lève lentement, touche sa poitrine déchirée.

LE ROI MORT

Je ne m’habituerai jamais à ça. Rien ne s’est passé comme je l’avais pensé.

 

LA FILLE ROI
Vous avez mal ?

 

La Fille Roi déplie une nouvelle chaise à côté de lui.

Elle s’assoit. Ils se parlent sans se regarder. La Fille Roi lui prend la main.

 

LA FILLE ROI
Vous avez très mal ?

 

LE ROI MORT.

Je ne sais pas. Est-ce que j’ai mal ?

 

LA FILLE ROI
J’ai besoin de votre aide

Silence.

Le roi semble s’être de nouveau endormi

 

 

 

LA FILLE ROI
Vous êtes réveillé ou pas ?

 

LE ROI MORT.

Je crois que oui

 

LA FILLE ROI
Bien.

LE ROI MORT (fait un geste de la main).

C’est beau ici. Il y a encore quelqu’un qui s’occupe du parc ?

 

LA FILLE ROI regarde ce qu’il indique avant de poursuivre

LA FILLE ROI.

Je pense oui. Vous n’avez pas à vous inquiéter pour le parc

Par contre, tout le monde s’oppose à moi. J’ai besoin de votre bénédiction. Vous, vous comprenez que je ne peux pas me marier.

 

LE ROI MORT.

Bien sûr que vous allez vous marier, mon enfant

 

LA FILLE ROI (s’affaisse).
Pourquoi ?

LE ROI MORT.

Vous aurez alors mille nuits de jouissance.

 

LA FILLE ROI (elle rit).

Je ne suis pas du genre à prendre plaisir avec un homme. Je ne suis pas comme çà.

Je ne sais pas comment je pourrais me plier. Je ne peux pas me plier.

 

LE ROI MORT.

Jamais vous ne devez vous plier.

 

LA FILLE ROI
C’est vrai mais aujourd’hui j’ai peur que même moi je sois obligée de me plier devant la nature. L’enfantement. C’est barbare. Rien que l’idée rend mes organes douloureux. Un oiseau de proie qui m’arrache le cœur, le foie, les reins, la rate puis s’envole.
Ce n’est pas pour moi.

LE ROI MORT.

Même moi j’ai partagé mon lit avec un homme. Ne faites pas une si grande affaire de votre cœur. Le mariage n’a rien avoir avec l’amour.

 

 

LA FILLE ROI
Je ne comprends pas pourquoi même vous, vous faites de la propagande pour le mariageVous n’étiez jamais à la maison.

 

LE ROI MORT.

C’est bien ce que je vous dis. Vous pourrez très bien faire ce que vous voulez même si vous vous mariez.

 

LA FILLE ROI
Je ne crois pas.

 

LE ROI MORT

Vous ne vous êtes jamais soumise à une loi. Dès que je vous ai vue, j’ai compris que cette

Fille pourrait faire tout ce qu’elle veut. Je savais que vous deviendriez un grand roi. Vos yeux étaient si ouverts.

 

LA FILLE ROI
J’ai besoin de votre consentement.

LE ROI MORT.

Vous devrez le demander à Dieu.

 

LA FILLE ROI

Je suis désolée Père, mais il n’existe peut-être même pas de Dieu.

Le christianisme n’est rien qu’une invention pour garder le peuple soumis.

Putain ce que c’est pratique. Mais ça ne m’aide pas, moi.

(Pause)

Il ne reste plus rien ici, Père.

 

LE ROI MORT

(Fait un geste de la main puis se tient la poitrine, le mouvement le faisant souffrir).

Ce royaume est le meilleur du monde. Ici on a tout. (Il rit).

 

LA FILLE ROI
Plus maintenant.

LE ROI MORT.

Que dit votre mère ?

 

LA FILLE ROI.

Elle ne dit rien, elle est partie

 

LE ROI MORT.

Elle est partie ?

 

 

LA FILLE ROI
Oui.

LE ROI MORT.

Ah merde.

Silence.

Le Roi mort rit.

 

LE ROI MORT.
Ah merde.

Et où est--‐elle maintenant ?

 

LA FILLE ROI
A Berlin.

LE ROI MORT.

Elle ne vous a pas dit au revoir ?

 

LA FILLE ROI

Au revoir ?… Mais si, sans doute.

 

LE ROI MORT.

Alors ?

 

LA FILLE ROI
Tout le monde s’en va sauf moi. Il ne restera plus que moi.

LE ROI MORT

(Il rit).

Excusez-moi de rire comme çà mais je suis vraiment très impressionnée. Qu’elle soit finalement partie. Jamais je ne l’aurais cru. Je me suis amusé à la regarder s’exciter contre le Pouvoir comme une guenon. Elle ne les a pas laissés tranquilles une minute.

Je suppose que tout le monde est heureux qu’elle soit partie.

 

LA FILLE ROI
Pas moi. Moi, je ne suis pas heureuse.

 

LE ROI MORT.

Je souhaitais une épouse dotée de l’obscurité scandinave et de la luminosité européenne.

Je suis revenu avec une femme désagréable. Un chat sauvage, une tigresse.

(Il rit de nouveau)

Mon dieu, mon amie. Vous pouvez bien prendre un mari et le garder dans un endroit du château où il ne vous gênera pas. Vous n’avez pas à vous en sortir pour autre chose que pour en faire un sujet, l’esclave de vos envies et de vos caprices.

Je ne comprends pas pourquoi vous résistez autant. Mariez- vous et rangez-le quelque part.