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Article : "Des nouvelles du Théâtre du Nord"

Le déconfinement, la saison prochaine, le théâtre de demain... Christophe Rauck répond aux questions de Marie Gicquel et Olivier Frégaville-Gratian d’Amore pour L'œil d'Olivier.

Des nouvelles du Théâtre du Nord

 

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A Lille, Christophe Rauck, directeur du Théâtre du Nord depuis 2014, et pré-sélectionné pour la direction du Théâtre Nanterre-Amandiers en 2021, prend le temps de questionner le présent. Le silence, en cette période singulière, lui a été salutaire. Loin de l’agitation numérique, il  réfléchit à l’avenir du théâtre et aux conséquences de cette crise sans précédent sur le spectacle vivant.

 

Comment avez-vous réagi à cette mise à l’arrêt de toutes les structures culturelles ?

 

Christophe Rauck :Malheureusement, nous n’avons pas eu d’autre choix que d’appuyer sur pause et de mettre le théâtre en coma artificiel. C’était impressionnant de voir le changement de visage, d’attitude du personnel, des artistes entre l’annonce présidentielle de réduire les jauges et la mise en place des règles de sécurité. Eux comme moi, nous étions comme groggys. Il a fallu un peu de temps pour réagir, mais très vite, très fort, d’un coup, l’angoisse est arrivée. Face à cela, il était difficile, de faire autre chose que d’attendre. Nous avons donc décidé de tout stopper. Nous étions en pleine exploitation de Le reste vous le connaissez par le cinéma de Martin Crimp, mis en scène par Daniel Jeanneteau. C’est un spectacle fait pour une grande salle. La dernière représentation faite en limitant l’accès au public, n’avait plus la même saveur. Le dialogue entre les comédiens et le public était plus dur, moins évident. 

Puis la décision de tout fermer est tombée. Il valait mieux que cela s’arrête. Ce n’était agréable pour personne. Nous avons fait en sorte de mettre toutes les équipes du CDN en télétravail ouau chômage partiel. Devant la tristesse d’un établissement vide, j’ai demandé à tous de faire silence. J’avais besoin de cette pause, de ce temps suspendu pour attendre, pour penser, pour réfléchir. Faire silence est nécessaire car cela permet d’écouter les autres, le monde. Il n’est pas question de se mettre dans une bulle, de faire l’autruche et d’attendre que des jours meilleurs reviennent, mais bien de prendre le pouls de l’époque et de cette crise sanitaire, sociale, culturelle et économique. C’est aussi pour ces différentes raisons, que j’ai pris le parti de rembourser tout le monde, sans message, simplement dans le respect de ce que nous sommes, avec dignité. Je pense sincèrement qu’aux vues de la situation dramatique que nous traversons, nous devons regarder, observer ce qui se passe sans être obligés d’habiter le vide.

 

Qu’avez vous fait des spectacles qui n’ont pas pu être montrés ?

 

Christophe Rauck : Dans la mesure du possible, nous avons essayé de les reporter à la saison prochaine, ou à celle encore d’après. Par contre, nous savons d’ores et déjà que pour cinq d’entre eux, nous ne pourrons malheureusement les reprendre, certains des comédiens, des techniciens étant déjà engagés sur d’autres projets. 

 

A l’heure, où la France se déconfine, comment envisagez-vous l’avenir ?

 

Christophe Rauck : Déjà, et ça a été douloureux, il a fallu acter que la saison 2019-2020 était terminée, que le théâtre ne rouvrirait pas ses portes avant septembre prochain au mieux. Après, il est clair qu’on ne peut pas reprendre comme si de rien n’était. Ce serait totalement insensé et absurde. En tout cas, je ne veux et ne peux m’y résoudre. Par ailleurs, je ne vois pas pour quelle raison, alors que la vie reprend un peu partout, que les gens s’engouffrent à nouveau dans les métros, les théâtres devraient attendre janvier pour reprendre une activité. Il est plus que vital que nous soyons au diapason du monde. Les salles doivent pouvoir commencer à accueillir du public dès septembre.
Faire que les théâtres, les salles de spectacles, la plupart des lieux culturels soient les derniers à pouvoir rouvrir, ce n’est pas cohérent. Je le redis, ce n’est pas possible. Honnêtement, si on nous demande de fermer jusqu’à l’année prochaine, ce sera catastrophique pour le théâtre et tout particulièrement pour le privé. Bien sûr, il faudra adapter nos pratiques, faire en sorte que tout soit fait pour garantir la sécurité des spectateurs. Mais actuellement, si on écoute les directives du rapport Bricaire, on va nous obliger à additionner les protections et les gestes barrières. Clairement à mon sens, on ouvre les parapluies partout. 

 

Comment voyez- vous les choses ?

 

Christophe Rauck : Clairement, le trop sécuritaire peut créer du stress et empêcher le plaisir des gens à venir travailler, ou revenir dans les lieux culturels. Une personne tous les deux sièges, ou  en quinconce, avec du gel, tout cela doit être envisagé pour que le théâtre reprenne vie petit à petit. Nous n’allons pas avoir le choix, il va falloir qu’on réfléchisse à de nouveaux modèles de production. Il est aussi nécessaire que l’on revoit notre manière de travailler avec l’international. Dans les premiers temps, la question des invitations des troupes étrangères risque d’être compliquée avec la fermeture des frontières. Nous ne sommes pas sûrs de pouvoir les faire venir.
Après, nous devons interroger notre manière de faire. Actuellement, nous sommes peut-être en surproduction, en surchauffe. Avec cette crise qui nous a obligé à être à l’arrêt, nous ne pouvons pas tout redémarrer, tout reprendre comme si rien ne s’était passé, sinon nous allons arriver très vite à un engorgement des lieux, à un goulot d’étranglement.
Hier encore, avant ce fameux 14 mars, j’avais l’impression qu’une boulimie s’était emparée de nous, tout se mélangeait. Alors que chaque maison, chaque directeur avait à la base des projets différents, tout afini par se ressembler, comme si tout s’était unifié. Il faut donc réfléchir à donner les moyens à tous de travailler dans de bonnes conditions sans pour autant, à nos corps défendant,  favoriser une ultra-précarisation afin de créer du chiffre.
Il est plus que vital que les personnes à la tête des maisons artistiques reprennent leur identité, l’assument et la revendiquent.Aujourd’hui tout est centré sur une surenchère de programmation, il me semble que si l’on ne se pose pas cette question, nous allons perdre quelque chose de l’ordre de l’impalpable, de la dimension artistique. Ce ne sont que mes sensations. Et entre le ressenti et le réel, il y a un monde.

 

Votre prochaine saison est-elle prête ?

 

Christophe Rauck :Oui, bien sûr. Elle est quasiment bouclée, mais il reste encore des inconnues, des incertitudes. Nous devions notamment faire venir des acteurs d’Afrique du Sud, pour un spectacle d’un metteur en scènedanois. Tout cela reste encore en suspens.

Qu’en est il de votre création sur Valerie Solanas ?

 

Christophe Rauck : Pour l’instant, la tournée a été annulée. Mais nous sommes en train de voir comment nous pourrions la reprendre l’année prochaine. En parallèle, nous devons jouer Départ Volontaire, crée en mai 2019, au Rond-Point en novembre prochain. On verra bien…

 

Propos recueillis par Marie Gicquel et Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Crédit photos © Simon Gosselin, © Mannar Benranou, © L. Duhayon, © Jean-Louis Fernandez