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B. Traven

Auteur

B. Traven, écrivain culte de langue allemande

Qui se cache derrière le pseudonyme de « B. Traven » ? 
La plus grande énigme littéraire du XXème siècle a donné lieu à plus d’une dizaine de biographies et enquêtes – en anglais, en allemand, en français ou en italien. Toutes ont tenté, avec souvent des avancées décisives, ou, parfois, des hypothèses farfelues, de percer le mystère de l’identité de l’auteur du Trésor de la Sierra Madre et du Vaisseau des morts. Albert Einstein, à qui l’on demandait quel livre il emporterait sur une île déserte, répondait inlassablement : « N’importe lequel, pourvu qu’il soit de Traven. »
Le romancier, dont les livres, traduits dans plus de trente langues, ont été vendus à 25 millions d’exemplaires, écrivait à ses premiers éditeurs en Allemagne : « La biographie d’un créateur n’a absolument aucune importance. Si l’auteur ne peut être identifié par son œuvre, c’est que celle-ci, comme lui-même, ne vaut rien. Un créateur ne saurait avoir d’autre biographie que son œuvre. » Une réflexion frappée du sceau du bon sens qui ne saurait occulter la trajectoire si particulière du romancier, qui a construit et géré la confusion autour de sa personne comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art. S’il est mort le 26 mars 1969 au Mexique, toute autre information biographique relative à l’auteur, à commencer par son véritable nom, sa date et son lieu de naissance, relève de la conjecture. Comme l’écrivait, en 1959, l’un de ses premiers biographes, B. Traven était un homme « qui courtisait l’obscurité comme d’autres recherchent la gloire et le succès, il recherchait l’oubli avec une intensité quasi pathologique.»

 

Une multitude de patronymes évoqués

Sur B. Traven, il n’existe que des hypothèses. S’appelait-il Traven Torsvan, né à Chicago en 1890 de parents originaires de Norvège, comme l’atteste son passeport une fois qu’il est devenu citoyen mexicain dans les années 1950 ? Ou, comme l’assurent ses biographes les plus fiables, Ret Marut, le pseudonyme choisi par cet apprenti serrurier devenu acteur quand il publie ses premiers articles en Allemagne ?
Lié à l’éphémère République des Conseils de Bavière de Kurt Eisner, mise en place à Munich en 1919, Marut doit fuir pour l’Autriche, après avoir été emprisonné par la police allemande. Il rejoint ensuite les Pays-Bas, la Suisse, le Canada – d’où il est refoulé – et fait de la prison en Angleterre – l’une des rares photos du romancier est d’ailleurs prise, de profil, par la police lors de son arrestation. D’autres pistes attribuent à Traven les noms de Feige, Kraus, Lainger ou Wienecke.
Traven, cet homme sans nom ou, au contraire, encombré de tant de patronymes, s’installe finalement au Mexique en 1924. L’écrivain travaille là-bas dans des champs de coton, participe en tant que photographe à une expédition archéologique. Il prétend aussi avoir été libraire, traducteur, boulanger, mécanicien, producteur de fruits à coque. 


Une chose est certaine : ses romans sont publiés en Allemagne à partir de 1926, puis en Angleterre et aux Etats-Unis à partir de 1934. Avec un succès fulgurant. 
Le Vaisseau des morts, son roman le plus autobiographique, sous-titré Histoire d’un marin américain, a pour narrateur un citoyen américain sans papiers, incapable de prouver sa nationalité et son identité, chassé de Belgique comme vagabond, sans autre choix que de s’embarquer sur un bateau de fortune voué au naufrage. Cette confession faite par le personnage à un consul pourrait presque servir de manifeste à la vie invisible et souterraine de B. Traven : « Est-ce que ma naissance a été enregistrée ? Je ne sais pas, j’étais trop petit pour me le rappeler. Est-ce que ma mère a été mariée avec mon père ? Je n’ai jamais demandé à ma mère. Je pensais que c’était son affaire, et non la mienne. Comment je puis prouver quoi que ce soit si ma naissance n’est pas enregistrée ? Inscrire mon honnête nom dans le registre d’un vaisseau des morts ? Non je ne suis pas tombé aussi bas. Alors j’ai abandonné mon vrai nom. »

 

Rendez-vous manqué avec John Huston

Le réalisateur américain John Huston découvre, en 1935, le roman le plus célèbre de Traven, Le Trésor de la Sierra Madre. Huston adaptera le livre treize ans plus ans plus tard, en 1948, avec Humphrey Bogart dans le rôle d’un des deux aventuriers américains partis à la recherche d’or dans le Mexique des années 1920, juste après la révolution.
Huston reste fidèle au roman, qu’il dépouille cependant de ses développements sur la récente révolution mexicaine et sur les méthodes brutales de la police fédérale contre les groupes de bandits, ainsi que de sa virulence sociale.
Huston devait rencontrer Traven à Mexico. La veille de leur rendez-vous, Traven l’avertit qu’il ne pourra s’y rendre car il a été enlevé. Mais il confie à un certain Hal Croves, traducteur de profession, la tâche de le représenter et d’aider Huston sur le tournage. L’accent allemand de Croves, sa crainte pathologique de se trouver pris en photo, laissent supposer à Huston que Croves et Traven ne font qu’un. Sauf que la manière de parler de Croves semble très différente de celle de l’homme que s’était imaginé le réalisateur de Quand la ville dort. Croves et Traven restaient deux individus différents à ses yeux. Différents et, en fait, complémentaires. Selon Huston, Le Trésor de la Sierra Madre serait l’œuvre d’un binôme, Traven et Croves. C’est sous le nom de Croves que Traven se présente à sa future épouse, Rosa Elena Lujan. Celle-ci a accepté un mariage avec une ombre en guise de mari. Une ombre qui lui disait : « Personne ne devrait poser de questions sur quoi que ce soit car les questions nous contraignent au mensonge. » Dans le testament confié à la femme de sa vie, Traven laisse un nom, Traven Torsvan Croves, et une origine : né à Chicago le 3 mai 1890, fils de Burton Torsvan et Dorothy Croves Torsvan, tous deux décédés.
Ce n’était bien sûr pas une révélation. Juste son ultime mensonge.


Samuel Blumenfeld 
Journal Le Monde, 4 août 2016